Domi Admin
Nombre de messages : 498 Date d'inscription : 02/05/2009
| Sujet: Une amitié d'autrefois. Lun 1 Juin - 23:08 | |
| C'est souvent à l'occasion de la lecture de la correspondance d'auteurs, que l'on apprend à mieux les connaître. C'est ainsi que je me suis passionnée pour la correspondance entre Alain-Fournier et son grand ami et beau-frère, Alain Rivière. Il est des amitiés exceptionnelles, fusionnelles, qui durent toute une vie. Celle entre Henri Fournier dit Alain-Fournier et Jacques Rivière est à ce titre exemplaire et admirable. Je vous en conseille la lecture. Alain-Fournier dans ses écrits avait une personnalité très attachante.
Ce sont deux jeunes gens qui viennent de leur province. L'un est du Berry, c'est Henri Fournier qui signera en 1913. du pseudonyme d'Alain-Fournier, son premier roman Le Grand Meaulnes, un livre aujourd'hui devenu un mythe. L'autre est Jacques Rivière. Il vient de la Gironde et deviendra le directeur de la prestigieuse Nouvelle Revue française, fondée par André Gide, à laquelle il sacrifiera son aeuvre personnelle.
Ils ont dix-sept ans en 1903.
Leur amitié est née d'une lecture du poète Henri de Régnier qui a porté au comble un commun amour de la littérature et de l'art. Ils délaisseront vite leurs études pour courir les librairies, les musées, les salles de concerts et les rues de Paris, " cœur du monde ".
Leur correspondance est un tableau vivant de leur histoire personnelle et de celle du monde qui les entoure de richesses foisonnantes dont leur époque déborde.
Les lettres sont groupées par thèmes qui évoquent les grands moments de leur amitié : les livres, l'Angleterre. Gide, les vacances, la guerre... où Alain-Fournier trouva la mort le 22 septembre 1914 à l'âge de vingt-huit ans.
En voici quelques extraits:
A l'infirmerie du lycée Lakanal, ce soir, sept heures et demie
Mon cher Jacques,
Je te vois d'ici: thèmes et versions; versions et thèmes; conférence de Philo, Maeterlinck -plus ardemment encore que si tu occupais la place vide derrière moi- Est-ce que pourtant tu n'as pas senti passer ce soir la vieille tiédeur avant-courrière d'un printemps: on parlait d'aller au parc, de sortir, d'imiter Cavalié parti pour Luzech à la suite d'épuisement général...
Est-ce que tu ne te doutes pas un peu que tu me manques énormément. Tu vas rire: ta simple présence silencieuse - ta simple présence droite- peut-être sévère, m'avait manqué quelque temps, sans que je puisse m'en rendre compte : je souffrais comme ue âme en peine.
J'ai pas mal vécu, évolué intérieurement depuis ton exil. Seulement tu ne serais pas qui tu es si tu ne savais pas qu'il y a des choses qu'on ne peut ni dire ni écrire -qu'on tâche de faire sentir, qu'on sent quelquefois, mais qu'il ne faut pas risquer "d'abîmer" ou de détruire ou de perdre éternellement dans une phrase mal dite qui sonne faux ou qui fait rire. Je ne sais pas moi-même où ça me mènerait...
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Le 26 janvier 1907
"Je voudrais te parler de mon amour. A cette heure, j'ai à peu près perdu son visage, il ne me reste que son expression et sa beauté. je voudrais seulement que tu me croies lorsque je dis qu'elle était si belle qu'il ne doit pas y en avoir de plus belle au monde.
A moi qui demandais un amour impossible et lointain, cet amour est venu et maintenant je souffre. A moi qui croyais aux paroles du visage, cette tête si belle a parlé.
Mon ami, je voudrais te dire sa lointaine, sa fuyante beauté. Chaque jour je trouve une explication de sa beauté et chaque fois, c'est une idée que j'exprime, et toutes sont vraies. Mon ami, à quelle hauteur étais-je arrivé lorsque je l'ai atteinte?..." | |
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